Gares et habitants de la rue

 

En certains points de la capitale plus qu’ailleurs, les personnes sans-abri ont tendance à être considérées sous l’angle des nuisances sociales, des incivilités et de l’insécurité (objective et subjective) que génèrent leur présence et certains de leurs comportements.  Cela n’étonnera pas que ce soit tout particulièrement le cas dans « lieux vitrines » que constituent les attractions touristiques, les principales rues commerçantes et les portes d’entrée de nos villes moderne que sont les gares.

A l’heure où différentes initiatives se prennent pour imaginer des dispositifs de prise en charge sous-tendus par des volets sécuritaires aux dimensions coercitives plus ou moins importantes, il nous paraissait important d’insister sur la nécessité de se livrer à une analyse fine et multifactorielle de chaque situation.

Ainsi, en ce qui concerne les gares, si différentes questions se posent, l’une des principales n’est autre que celle du sens que prennent ces lieux dans les parcours de survie quotidienne à la rue.  Comment et pourquoi les gares exercent-elle avec tant de vigueur leur force d’attirance sur les personnes sans-abri ?

Le petit texte qui suit montre qu’elles sont, peut-être, sans équivalence à bien des égards.

 

1.  SURVIE QUOTIDIENNE

Depuis les récentes rénovations qu’ont connues certaines d’entre elles (Gare Centrale, Gare du Midi), les gares se sont mutées en véritables centres commerciaux « multi-services » où il est possible d’accéder assez facilement à toutes les ressources nécessaires à la (sur)vie quotidienne.  Au-delà des réponses directes aux besoins primaires, elles offrent un certain niveau de confort à qui souhaite les investir.  Petite liste non exhaustive de ce que les personnes sans-abri (et les autres) peuvent y trouver sans avoir à dépenser trop d’argent :

  • Abri contre les intempéries (toit, chaleur)
  • Toilettes (rarement gratuites sauf pour les connaissances des préposés aux toilettes)
  • Lavabos (pour se laver)
  • Consignes
  • Nourriture (distribution de repas Gare Centrale, restes des snacks, dons des passants, magasins, …)
  • Vêtements (dons des passants)
  • Espaces pour se poser et se reposer (bien que le mobilier urbain s’y prête de moins en moins bien : bancs remplacés par des sièges individuels, …)
  • Alcool (disponibilité très importante : cafés, magasins, distributeurs)
  • Drogues (un peu de tout)
  • Moyens de transport (métro, tram, bus, train, taxis)

Aux vues de tout ceci, on aura compris que les gares sont sans véritable concurrence.  Les aéroports peut-être ?  S’ils jouissent d’un certain succès la nuit, ces derniers souffrent, néanmoins, de leur décentrement en journée.

 

2.  REVENUS

Les gares génèrent différentes sources de revenus :

- Mendicité

- Deal

- Compensations matérielles en échange de petits services rendus aux commerçants

- Dons matériels

- …

 

3.  CONTACTS ET LIENS SOCIAUX

A qui souhaite échapper un moment à son isolement et à sa solitude, les gares offrent de nombreuses possibilités d’entrer en relation avec les autres.  Ainsi les personnes sans-abri (et les autres) peuvent-elles y rencontrer :

- Les navetteurs (sources de contacts, de dons, de revenus via la mendicité, …)

- Les paires (sources d’aide (relations utilitaristes), d’information, …)

- Les commerçants (échanges de services : travail)

- Les citoyens de premières ligne tels que les préposés aux toilettes ou les techniciens de surface (implication parfois très importantes dans certaines situation : logement, travail, …)

- La police et les agents de sécurité (ambiguïté des relations, protection)

- Les travailleurs sociaux (en nombre et à tous moments : aide psycho-sociale)

- …

 

4.  OCCUPATION

Les gares sont des lieux de vie et de mouvements perpétuels qui constituent d’efficaces remèdes au désoeuvrement.  Il s’y passe toujours quelque chose et certaines personnes sans-abri les investissent pour combler le vide laisser par l’inoccupation.  Ainsi les balcons et autres points de vue connaissent-ils un succès considérable (comme au spectacle).  On ne s’ennuie jamais dans une gare.

 

5.  ANONYMAT ET VISIBILITE

Les gares garantissent l’anonymat de celles et ceux qui souhaitent le conserver.  En ce sens, elles ne sont pas stygmatisantes et permettent, par exemple, à ceux qui cherchent à éviter le regard d’autrui de se fondre dans la foule des voyageurs.  On a la possibilité d’y être comme tout le monde.

Pour d’autres habitants de la rue au contraire, les gares sont des lieux de mises  en scène ou elles affichent ostensiblement leur condition de sans-abri ; et ce à différentes fins, dont celle de montrer qu’elles existent, d’affirmer une identité.

 

6. ACCESSIBILITE ET FAIBLES CONTRAINTES

Pour beaucoup d’habitants de la rue, les gares sont d’excellentes alternatives aux services sociaux du secteur sans-abri (restaurants sociaux, centres de jour, lieux d’hébergements, …).  Elles présentent, en effet, de nombreux avantages :

  • Règlement d’ordre intérieur moins contraignant (alcool, …)
  • Bas seuil d’accès (pas besoin de formuler de demande ou de projet, …)
  • Absence d’attente institutionnelle
  • Horaires plus souples

 

Un travail de recherche permettrait d’approfondir la question reprise dans la présente tout en la reliant à d’autres tout aussi fondamentales comme celle des dynamiques positives existantes.

Peut-être s’apercevrait-on ainsi que certaines ressources ayant démontré toute leur efficacité dans la limitation des nuisances de tous ordres sont régulièrement mises à mal ; à l’image de l’équipe d’Hersham (une unité de la police fédérale) dont l’action permet, entre autre : de former les agents de sécurité (sensibilisation aux techniques d’approches respectueuses d’un public en souffrance psycho-sociale) ; d’intervenir auprès des quelques uns qui portent atteinte à l’ordre public et/ou qui commettent des délits ; de prévenir les comportements problématiques (agressivité, …) grâce à un travail de proximité et à des contacts adaptés ; de faciliter les démarches sociales via un système de délivrance de documents tels que les déclarations de perte de carte d’identité, …

Peut-être s’apercevrait-on aussi que personne n’a rien à gagner à criminaliser les personnes sans-abri.

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